• Journal de Celegan

     Ceci est un texte qui reprend une partie de l'histoire, mais traité depuis le point de vue de Celegan (tout en restant à la troisième personne), avec quelques détails en plus. Il s'agit essentiellement d'exposition.

    Pour le contexte : Dimitra et Celegan travaillaient sur un portail de voyage dans le temps, mais lors du premier essai, le portail implose et ils sont emportés dans une faille. Ils se réveillent dans un monde austère et Celegan doit se débrouiller pour aider Dimitra qui semble avoir énormément de difficultés à respirer. Il obtient par chance l'aide d'individus, semble t-il, non-humains. Alors que Dimitra se remet petit à petit, grâce à un dispositif fabriqué sur le tas par Celegan, ils font la connaissance d'un homme intriguant qui renvoie une certaine familiarité à Celegan sans que ce dernier ne comprenne pourquoi.

    Partie d'histoire concernée : Principale

    Personnages concernés de la partie d'histoire : Celegan, Logan et Dimitra

    Période du monde : Futur

    Nature du monde : Univers post-apocalyptique reconstruit

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    Les Deux Futurs

    Celegan regarda au dehors, en quête de la moindre lueur qui annoncerait le lever du jour. Cela faisait maintenant plus de sept heures que Dimitra et lui étaient arrivés dans ce monde horrible et il désespérait pour le moindre sentiment de familiarité.

    L'homme qui s'était présenté à la tente où se reposait Dimitra semblait comprendre un peu trop bien leur situation. Il les avait invités dans son refuge, une immonde bâtisse de béton abandonnée, aussi sombre et triste que le restant du décor. Le bâtiment était aligné avec d'autres du même style, tous perchés sur une colline artificielle qui s'étirait en parallèle du bidonville.

    Si Celegan avait un quelconque crédit à donner au lieu, c'était que les fenêtres dudit refuge laissaient encore plus entrevoir l'extrême dissonance entre le secteur habité par les humains, dont les sinistres buildings s'enfonçaient dans des nuages ténébreux, et celui habité par des êtres clairement non-humains, jonché de ruelles crasseuses dans lesquelles se tassaient des tentes improvisées et quelques bâtiments en ruine ci et là. Cela s'ajoutait à ce que le jeune homme avait pu observer dans sa course pour trouver de l'aide. Les gens de la ville, tous sobrement habillés de gris, avaient essentiellement des visages ternes et une attitude rigide. Les "gens" du bidonville, quant à eux, portaient des vêtements de qualité variable, avec des couleurs ternes, ils avaient essentiellement des regards tristes et méfiants qu'ils tentaient vainement de cacher, probablement par fierté.

    Celegan peinait encore à adhérer à l'idée qu'il s'agisse là de leur futur, même si la date sur ce spot publicitaire en ville lui disait tout le contraire. 3551... Ça faisait presque 1000 ans de différence par rapport à l'époque de Celegan et Dimitra. Et pourtant, absolument rien ne rappelait la glorieuse période du vingt-septième siècle. Où se trouvaient les grands espaces ouverts ? Les parcs ? Les routes surélevées ? Les voitures aéroportées ? Les tours stylisées et lumineuses ? Pourquoi avoir renoncé à tout ça pour... Ça ? Cet environnement dénué de couleur, plongé dans l'obscurité. D'ailleurs, pourquoi personne ici n'utilisait des lumières plus vives ?

    Le claquement aisément reconnaissable des pieds de métal de Dimitra se fit entendre et Celegan tourna vaguement la tête pour l'accueillir.

    "À quoi penses-tu ?" Elle demanda.

    "Au fait que cette époque est absolument grotesque." Il répondit automatiquement.

    "Tu penses toujours que nous sommes dans le futur ?"

    "Quoi d'autre ?"

    "Hmm." Elle sembla pensive et regarda aussi à l'extérieur.

    Celegan se tourna complètement vers elle et s'accouda au rebord de la fenêtre. C'est ce moment que l'homme qui les avait accueilli choisit pour entrer dans la pièce. Le blondinet lança par réflexe :

    "Dites, vous pensez que le jour va se lever bientôt ? Ça devient fatiguant de fixer l'obscurité."

    L'homme, ou plutôt Logan, vu qu'il s'était présenté comme tel lorsqu'il était venu les accueillir à la tente, se figea instantanément, l'air surpris. Il regarda brièvement vers la fenêtre avant de jeter successivement un œil à Celegan, puis Dimitra qui attendait également une réponse.

    "Au risque de vous décevoir, nous sommes en fin de journée. Il fait encore jour, la nuit va seulement tomber."

    Celegan écarquilla les yeux, il retourna la tête pour fixer l'obscurité extérieure puis se retourna pour fixer son interlocuteur en quête d'un signe moqueur. Ce dernier, au contraire, resta impassible.

    "Vous avez l'air déçus." Dit simplement Logan.

    "Il fallait vraiment qu'on atterrisse ici un jour où il fait particulièrement dégueulasse." Celegan grommela.

    Logan inclina légèrement la tête sur le coté.

    "Actuellement, la météo est clémente aujourd'hui. D'habitude, il pleut beaucoup et il fait assez sombre."

    "Je... Quoi ?" Celegan peina à assimiler l'information. "Et vous trouvez qu'il fait comment là ?"

    "C'est une bonne journée, de toute évidence, et il fait suffisamment clair pour que nous n'ayons pas besoin d'allumer les lumières." Logan répondit avant de s'avancer vers la table improvisée par une planche et des caisses en bois afin d'y déposer des sacoches qu'il avait amenés.

    Celegan resta interloqué, il se tourna vers Dimitra qui ajustait le respirateur sur son visage.

    "Tu y crois à un truc pareil ? Il fait clair, pour lui."

    Dimitra fronça les sourcil et secoua la tête. Logan les dévisagea à nouveau et soupira.

    "Je suis désolé. Comme vous avez une connaissance technologique assez avancée, j'ai assumé à tord que notre quotidien était aussi le vôtre. Mais il semblerait que vous connaissiez une situation bien différente."

    "Effectivement." Dimitra hocha la tête."Je ne peux pas vraiment vous dire pourquoi cela est autant différent, mais chez nous... À notre époque... L'oxygène est nettement moins pauvre et nous avons généralement un ciel bien plus ensoleillé. Je vous avoue que je peine à comprendre comment vous faites pour vivre dans ces conditions. Celegan également, d'où son manque de courtoisie. Ce que j'aimerais qu'il tasse un peu d'ailleurs, parce que c'est irrespectueux envers vous qui nous avez tendu la main."

    Celegan grimaça de gêne. Il n'était pas commun pour Dimitra de le rappeler à l'ordre, il fallait qu'il fasse plus attention. Il crut entendre Logan murmurer "un ciel ensoleillé", mais il songea qu'il devait l'avoir imaginé.

    Dimitra continua :

    "Si je puis me permettre, vous semblez savoir beaucoup de choses au sujet de notre situation, Logan. De plus, je n'ai pas oublié l'insinuation que vous avez faites lorsque vous êtes venus nous chercher.

    Logan eut un léger sourire, mais il reprit rapidement un air placide.

    "Vous avez raison, j'en sais plus que la plupart des gens vivant ici. Mais il serait avisé de d'abord rendre cet endroit plus confortable pour vous, vous en conviendrez ?"

    Dimitra et Celegan acquiescèrent, non sans une certaine hésitation.

    "Je pense comprendre que vous avez des troubles avec la luminosité, je vais voir si je peux y remédier." Il continua tandis qu'il ouvrait les sacoches. "En attendant, je vous ai amené de quoi vous restaurer. Vous n'avez pas l'air en forme. En particulier, vous, Dimitra."

    "Et bien, je dois vous avouer qu'en dépit de ma condition, j'ai toujours besoin d'un taux normal d'apport en oxygène. Mais bon, sans ce petit bijou que mon protégé  a trafiqué sur le tas, " Elle agita légèrement le tube qui reliait la pompe à son respirateur artificiel "je serais probablement encore sonnée."

    Elle fit un clin d'œil à Celegan qui ne cacha par son orgueil.

    Logan observa leur échange avec une certaine curiosité.

    "Je vous avoue que je suis étonné que vous en ayez besoin, alors que votre apprenti s'en passe sans problème."

    Celegan se crispa instantanément, et fixa ses pieds.

    "Je m'adapte juste plus facilement."

    "Je vois." Logan fit, l'air peu convaincu.

    Il sortit deux petits pots des sacoches, ainsi qu'un objet plat et rectangulaire qu'il posa sur la table et invita les deux autres à s'approcher.

    Dimitra fut la première à le rejoindre, tandis que Logan sortait deux gélules d'un des récipients.

    "Qu'est ce ?" Elle s'enquit sans attendre.

    L'homme haussa un sourcil.

    "Des gélules journalières, évidemment. Quoi d'autre ?"

    Dimitra le regarda d'un air suspicieux.

    "Des gélules journalières ? À quoi servent-elles ?"

    Logan se pinça le haut du nez des doigts, l'air atterré. Néanmoins, il répondit avec le plus grand sérieux :

    "Ça sert à combler vos besoins journaliers en terme d'apport alimentaire. Vous êtes censés en prendre quatre par jour pour une réponse optimale. C'est littéralement impossible de vivre sans ça, sinon vous mourriez de faim. Comment pouvez-vous l'ignorez ?"

    La scientifique fixa les gélules d'un air dubitatif.

    "Honnêtement, je fais avec la nourriture normale sans problème, je n'ai pas besoin de suppléments."

    "Où voulez-vous en venir ? Et que voulez-vous dire par 'nourriture normale' et 'suppléments' ?"

    Celegan vit Dimitra réfléchir très vite, elle ouvra la bouche et hésita un peu avant de dire :

    "Ne me dites pas que c'est la nourriture standard, chez vous ?

    Logan pencha une nouvelle fois légèrement la tête sur le coté, Celegan songea à un toc.

    "C'est notre alimentation normale, en effet. À moins que vous soyez du genre à manger des pierres ou de la poussière, je ne vois pas réellement à quoi vous pensiez d'autre."

    "... Je vous prie d'excuser ma mauvaise attitude, Logan. Je dois reconnaître que ni ces 'capsules' ni vos autres 'suggestions' ne rentrent dans nos habitudes alimentaires, donc ça m'a surprise."

    "Je suppose qu'il n'y a pas de mal. Je reconnais que je n'ai pas pu vous ramener la meilleure qualité, mais c'est le mieux que je pouvais faire par rapport à ce que nous pouvons trouver par ici."

    Il recula, l'air pensif.

    "Je vais essayer de vous trouver des lampes suffisamment puissantes. Essayez de ne pas trop rester auprès des fenêtres, ce serait ennuyeux que vous vous fassiez remarquer par une patrouille. Et certains monsumons ne sont pas très contents de votre présence non plus, donc j'aimerais éviter toute forme de conflit."

    "Très bien, nous ferons attention." Dimitra répondit.

    "Je vous laisse ceci, utilisez-le si vous en voyez l'usage." Dit Logan, désignant l'objet plat.

    Sur ce, Logan se retira.

    "Il est vraiment bizarre, ce type. Et pas que lui. Toute cette époque est bizarre." Celegan s'exclama en s'approchant de la table.

    Dimitra scruta la gélule laissée à son attention avec un regard méfiant.

    "Je pense que culturellement, c'est très éloigné de ce que nous connaissons, en effet. Mais je dois avouer que- Mais qu'est ce que tu fais ?" Elle s'interrompit en voyant Celegan se saisir de sa propre capsule et la porter directement à sa bouche sans réfléchir.

    Celegan avala la gélule d'un coup et la dévisagea, l'air hébété.

    "Il a dit que c'était à manger, non ? Si c'est l'équivalent de la bouffe ici, alors je-"

    "Et tu gobes ça sans même me laisser le temps de vérifier le contenu ? Les gens ici vivent dans des conditions particulières, qu'est ce qui te fais penser que cette 'nourriture' n'est pas spécifiquement prévue pour eux ? Tu as envisagé que ça pouvait être néfaste pour ta santé ?"

    Le blondinet pinça les lèvres.

    "Je... Tu penses que je devrais me faire vomir ?"

    Dimitra soupira et sorti son stylet de sa poche pour couper la gélule et déverser son contenu sur la table.

    "Laisse-moi le temps de vérifier."

    Celegan, inquiet, la regarda observer les différents éléments, poussant les fines particules avec son stylet. Il était clair que ses lunettes améliorées n'avaient jamais été autant utile qu'en ce moment, faute d'avoir du meilleur matériel sous la main.

    Après quelques minutes d'investigation et de froncements de sourcils, elle se redressa et s'exclama :

    " Certains ingrédients ont un taux de concentration assez élevé, donc ce ne serait pas avisé, du moins pour nous, d'avaler ces gélules aussi souvent que Logan l'a suggéré, mais ce n'est pas dangereux."

    Celegan sentit la pression tomber. Dimitra continua, fascinée, tandis qu'elle continuait à éparpiller le contenu de la capsule :

    J'ignore comment ou pourquoi cette chose existe, mais c'est un véritable concentré de tous les besoins nutritionnel dont un être humain a besoin pour vivre. Vitamines, protéines, glucides, fibres... On dirait que tout est de synthèse, par contre. C'est étrange."

    Le blondinet haussa les épaules et se saisit d'un des bocaux pour choper une seconde gélule qu'il ingéra aussitôt. Dimitra roula des yeux.

    "Je t'ai dit que c'était risqué pour nous de trop en avaler, qu'est ce qui t'a échappé ?"

    "Ah... Désolé." Celegan se frotta la tête, honteux. "J'avais encore faim après la première, donc j'ai cru que ça ne ferait pas de mal d'en prendre une seconde."

    "Ne recommence pas ça. Je vais devoir chercher un moyen pour que nous puissions rentrer chez nous, j'aimerais ne pas avoir à te surveiller en plus. Tiens, prends ça."

    Elle lui tendit l'objet rectangulaire.

    "Qu'est ce que c'est supposé être ?"

    "À première vue, je dirais que c'est une tablette tactile."

    "Huh ?"

    "C'est l'ancêtre de nos écrans, si tu veux."

    "Cette... Chose !?"

    "Oui, oui, je sais, ce n'est pas génial, mais Logan a eu l'amabilité de nous la laisser, donc il devait penser qu'elle nous serait utile. Amuse-toi avec, je n'ai pas l'énergie de chipoter à un objet aussi dépassé."

    Celegan soupira et se saisit de la tablette. Il grimaça face au poids et au coté encombrant. Comment était-il possible que des gens se soient accommodés d'engins aussi peu pratiques ? C'était une véritable erreur ergonomique, moche et...

     "Heum, Dim'..."

    Dimitra qui se tenait la tête pendant qu'elle ajustait encore le respirateur sur sa bouche et son nez, répondit d'un bref signe de tête.

    "Comment on allume ce truc ?"

    La scientifique roula des yeux et haussa les épaules. 'Elle n'est pas sérieuse...' Celegan songea.
    Il tâta tout l'écran, puis les cotés et trouva des points de pression qui devaient être des genres de boutons. Il les pressa un à un, et l'écran s'alluma enfin, affichant l'heure et la date.

    "Heu, Dim'..."

    "Quoi encore ? Je ne sais pas comment fonctionne ces machins, débrouille-toi."

    "Ce n'est pas ça... Il a dit qu'il était quelle heure, l'autre type ?"

    "Il n'a rien dit à ce niveau. Juste que nous étions en fin de journée. Pourquoi ?

    Celegan leva l'écran à la hauteur des yeux de son interlocutrice.

    "Il y a combien d'heures dans une journée ici ?"

    Sur l'écran, 26:38 s'affichait dans une police numérique.

    "C'est peut-être un bug ? Cet appareil est complètement dépassé, il doit juste être détraqué ?" Dimitra raisonna.

    Celegan n'en était pas aussi sûr, pour une raison qu'il ignorait.

    Il retourna son attention sur l'écran, tandis que Dimitra s'assît sur des caisses en bois

    'Glisser pour déverrouiller. Au moins, c'est simple à partir d'ici.' Celegan songea en faisant le mouvement. La sensation sur les doigts était honnêtement très désagréable, et... Bon sang que c'était lent ! Il s'assît directement sur le sol, nullement dérangé par la poussière, et tapota l'écran pour essayer d'en obtenir des réponses satisfaisantes.

     

    Après une bonne heure et absolument aucune idée de s'il faisait nuit à ce moment précis, compte tenu de l'obscurité continue, Celegan finit par parler :

    "Tu t'es trompée."

    "À quel niveau ?"

    "Sur le fait que ce débris soit détraqué. Tu es assise ?"

    "Comme tu peux le constater."

    "Bien, alors les journées ici durent 32 heures."

    "Pardon ?"

    "Attends, je n'ai pas terminé. Les mois durent tous en moyenne 40 jours pour le même nombre de mois. Les mois par ailleurs sont presque écrits pareils que pour nous, mais il y a quelques différences d'orthographe."

    "40 jours de 32 heures par mois ?"

    "Environ. Tout comme pour notre calendrier, le nombre de jours par mois n'est pas régulier et diverge parfois de un à deux jours de différence. Juillet, ou plutôt Jullet pour ici, ne compte que 38 jours alors que Janvier, ou Ianvier, compte 41 jours. Je t'avoue que je ne saisis pas la répartition des jours. Mais les mois qui divergent sont moins nombreux que chez nous, la plupart des mois s'en tiennent à 40 jours pile."

    Dimitra se tapota le menton.

    "Je comprends mieux pourquoi ils prennent quatre gélules par jour..."

    "Ah ?"

    "... Ne fais pas attention. C'est ça que tu faisais depuis tout à l'heure sinon ? Tu en as mis du temps juste pour trouver ça."

    "Je t'avoue que je me suis beaucoup battu avec la lenteur aberrante de ce fossile. Tu te rends compte qu'il faut au moins plusieurs secondes pour charger une page après l'autre ? Et il n'y a même pas moyen de tout afficher côte à côte sans que ça soit rapetissé ou quoi, c'est une aberration." Celegan grommela en agitant la tablette. "Mais je n'ai pas commencé par ça, en vrai. J'avais commencé par vérifier les informations et ce qui s'apparentait à des réseaux sociaux. C'est comme ça que j'ai remarqué que les dates et les heures étaient étranges."

    Dimitra hocha la tête.

    "Tu as trouvé quoi que ce soit d'intéressant ?"

    "Hmm, les gens ici sont encore plus barrés que je le pensais. J'ai vu plein d'articles au sujet de la pousse d'un arbre, et en regardant sur un de leurs réseaux, ça avait l'air de carrément être l'émoi autour de ce même arbre. C'est juste un bout de bois qui pousse, qu'est ce qui les excite autant là-dedans ? Quand je pense que je me disais que les gens s'emballaient vraiment pour rien à notre époque..."

    La brunette se leva et marcha jusqu'à la fenêtre pour regarder au dehors.

    "Dis, Cel', tu as remarqué ?"

    "Remarqué quoi ?"

    "Le silence."

    "..."

    Dimitra s'appuya sur le mur à coté de la fenêtre et croisa les bras.

    "Ça m'a interpelé dés l'instant où nous avons quitté la ruelle."

    "Je t'avoue que je ne vois pas où tu veux en venir." Celegan dit simplement.

    "Quand tu as été cherché de l'aide, tu n'as pas eu l'impression que quelque chose manquait ?"

    "Non, je..." Celegan s'interrompit pour réfléchir. Qu'avait-il manqué qui soit si important à remarquer ?

    'Le silence' Le blondinet songea. Les rues de la ville n'étaient vraiment pas bondées, mais il y avait de l'activité humaine, des sons des gens qui parlent, le son infernal de ces voitures accrochées au sol, le son des écrans géants dans les rues. Pareil dans le bidonville, c'était une myriade de sons provenant des habitants et de leurs activités. Le son des activités des habitants humains et non-humains, et rien d'autre.

    "... En dehors du vent, il n'y a aucun bruit ici." Il se rendit soudain compte. "Pourquoi n'entend-on pas le son des insectes ou des oiseaux ?"

    "Exactement. Et il n'y a pas que ça. Je ne sais pas pour la ville, mais je n'ai observé aucun coin naturel dans les environs. Il n'y a ni herbes, ni arbres, ni arbustes, pas même des vestiges de la présence du moindre végétal... Comme si le sol environnant était complètement stérile."

    Celegan songea à son parcours en ville, mais se révéla incapable de se remémorer le moindre signe de verdure. Il secoua la tête.

    "Et il y a des bâtiments et des constructions à perte de vue, mais peut-être qu'il y a des pâturages ou des cultures ailleurs ? Maintenant que j'y pense, il y avait ce chien noir, donc ça confirme la présence d'animaux, même si nous n'en avons pas vu ou entendu d'autres."

    "Attends, quel chien ?"

    "Hah, je ne te l'avais pas dit ? Quand j'ai repris connaissance après notre, err, mésaventure, je me suis retrouvé nez à nez avec un gros chien et j'ai flippé un peu, mais au final, le cabot est parti. Ça m'a parut sans intérêt sur le moment, surtout que je devais m'assurer que tu allais bien, et-" Il s'interrompit brutalement.

    "Celegan ?"

    Le chien noir. Maintenant que le blondinet y repensait, ce chien avait des yeux d'un bleu très intense, mais surtout son regard avait semblé trop humain. Et ce regard...

    "Dis, Dim'... ?"

    "Quoi ?"

    "Tu penses que la galerie de monstres que nous avons rencontrés peuvent changer de forme pour quelque chose de moins humain ?"

    "Ça me parait surréaliste, mais pourquoi cette question ?"

    "Quelque chose me perturbe depuis le début avec ce type, Logan. J'ai le sentiment que je l'ai déjà vu quelque part, alors que je suis certain que non."

    "Où veux-tu en venir ?"

    "... Tu crois que ce gars peut se changer en chien ?"

    Dimitra le regarda d'un air surpris, et éclata de rire. Le blondinet s'en trouva agacé et grommela.

    "Haha, excuse-moi, gamin ! On dirait que tu me sors un de ces vieux contes où les gens se changent en loups-garous et autre bestioles fantasques. C'est juste que c'est... Haha, c'est scientifiquement impossible. Je te croyais plus terre-à-terre !"

    "Oh, ça va hein ! Je me fie juste à ce que je vois, c'est tout ! Et puis, dans la ruelle où on s'occupait de toi, j'ai remarqué que certains de ces monstres avaient des attributs qui rappelaient énormément ceux d'animaux que nous connaissons."

    "Je vois à quoi tu penses, mais ça me parait improbable."

    "Peut-être ? Peut-être pas ? J'ai l'impression qu'ici rien ne fait de sens."

    "Si cela s'avérait vrai, alors la probabilité que ce soit notre futur serait encore moindre." Dimitra dit, sérieusement.

    "Huh, comment ça ?

    "C'est une intuition."

    "Une intui- quéwaaa ?"

    Dimitra traversa la pièce, très sérieuse. Elle prit une profonde inspiration et jeta un œil en arrière, dans les ténèbres extérieures.

    "Tu te doutes que je me tiens toujours au fait des technologies, n'est ce pas ?"

    "Oui, c'est ton... Notre truc."

    "Exactement. Mais dans mon cas, j'ai aussi suivi les rapports de prévision au sujet des conséquences possibles de l'utilisation de nos technologies. Dans le milieu scientifique, c'est un sujet extrêmement pris au sérieux, parce qu'une technologie défaillante peut avoir des conséquences graves sur notre futur. Cela a déjà manqué d'arriver, tu comprends ?"

    "Err, plus ou moins ?"

    "Et voilà mon problème principal ici : Nos technologies actuelles, celles de notre époque, sont savamment étudiées et nous n'avons constaté aucun résultat néfaste à long terme. Bon, évidemment, nous n'avons pas pu nous en assurer sur un millénaire et surtout, nous ne pouvons pas prendre en considération des conditions dont nous n'avons pas encore connaissance, mais..." Dimitra secoua la tête, l'air incertain et désigna brièvement l'extérieur "Je ne peux juste pas croire que nous ayons pu faire quoi que ce soit qui ait abouti à ce résultat. C'est comme si cette époque était figée dans le vingt-deuxième siècle, mais avec une situation radicalement différente de notre vingt-deuxième siècle."

    "Nous sommes au trente-sixième siècle selon leur calendrier..."

    Dimitra se frotta le menton.

    "Ça ne tient pas la route. La technologie est complètement en retard par rapport à notre époque, des êtres là dehors nous ressemblent mais ne sont pas humains, l'environnement ne ressemble en rien à nos prédictions, le calendrier ne ressemble pas au nôtre non plus... C'est comme si nous étions dans un tout autre monde que le nôtre, un monde qui aurait suivi une course différente."

    "Ce n'est pas impossible." Une troisième voix s'éleva, faisant sursauter les deux chercheurs. "J'ai pu constater qu'il existe des endroits très différents d'ici et je ne peux pas croire que ces endroits existent ou ont existé dans ce monde."

    L'homme en noir, tout juste visible dans l'obscurité de la pièce, se tenait dans l'embrasure de la porte, deux grosses lampes épaisses sous le bras et un autre sac dans la main.

    "Logan, vous avez presque réussi à me faire faire un arrêt cardiaque." Dimitra soupira, la main sur la poitrine. "Comment pouvez-vous être aussi silencieux dans un endroit où il y a autant d'écho ?"

    "Logan ! Est-ce que ça vous arrive de vous transformer en gros chien à l'occasion ?" Celegan enchaina presque aussitôt.

    Dés l'instant cela avait traversé l'esprit du blondinet, c'était resté comme une idée fixe qui restait à planer dans son esprit, et il avait un besoin obsessif de le sortir de sa tête. Dimitra resta ébahie face à la précipitation de son apprenti. Logan inclina légèrement la tête sur le coté.

    "Je... Je suis désolée, Logan. Celegan peut avoir une imagination assez improbable parfois, et -"

    "C'est pourtant le cas." L'homme aux cheveux noir répondit solennellement, sans le moindre indice qu'il prenait cela avec humour.

    "-Ha ?"

    "Cela doit être confus pour vous, parce que je garde forme humaine. Le fait est que mon apparence actuelle est celle avec laquelle je suis le plus familier."

    "Est-ce que ça veut dire que c'est normal pour les gens comme vous de vous transformer en trucs ? Attendez, non, je reformule, est-ce que vous êtes les animaux de ce monde ?" Celegan s'enquit.

    Logan eut un petit rire.

    "Je vous avoue que les scientifiques théorisent sur le fait que les monsumons soient les descendants des animaux, mais il n'y a rien d'avéré à ce niveau. Pour ce qui est de se transformer, c'est... La base pour les monsumons. Ils adoptent une forme humaine par praticité, mais aussi pour limiter autant que possible l'hostilité à leur égard. Les gens sont facilement impressionnés parce ce qui ne leur ressemble pas, et ce n'est pas aidé que beaucoup de monsumons ont des apparences peu flatteuses."

    "Vous en parlez presque comme si vous ne vous sentiez pas concerné." Dimitra plissa les yeux.

    "... Disons que mon cas est un peu particulier. Puisque j'ai répondu à votre question, accepteriez-vous de répondre à la mienne ?"

    "Qu'est ce que vous voulez savoir ?" Celegan demanda.

    "Est-ce que" Logan désigna les jambes de Dimitra du regard. "C'est quelque chose de normal chez vous d'avoir de telles jambes ou est-ce vos jambes qui sont considérées comme une anomalie, Celegan ?"

    Tous les regards se portèrent sur les jambes de métal de Dimitra et cette dernière répondit à la place du blondinet :

    "Mon cas est également particulier. J'ai eu un accident dans lequel j'ai perdu mes jambes. À l'époque, je ne pouvais pas avoir mieux pour les remplacer. Avec le temps, j'aurais pu faire un upgrade pour obtenir des jambes d'apparence plus humaine avec une peau synthétique pour les couvrir, mais... Disons simplement que je considère ces jambes comme une part entière de ma personne désormais, et je refuse tout simplement de les changer."

    "Elles semblent assez encombrantes."

    "Mais elles sont très pratiques, vous pouvez me croire."

    "Je vois. J'espère que ma question n'a pas été perçue comme intrusive."

    "Du tout. J'ai remarqué votre curiosité et j'apprécie que vous ayez demandé. Les gens réagissent le plus souvent comme si avoir de telles jambes était juste un handicap, et ils osent rarement aborder le sujet, probablement par crainte de me froisser."

    Celegan poussa un soupir en les écoutant dévié de plus en plus du sujet principal. Il savait que c'était en partie de sa faute mais il ne s'était pas attendu que à ce que le sujet s'éloigne autant.

     "... Vous avez décortiquez une gélule ?" Ah, le sujet avait encore changé pendant que Celegan décrochait de la conversation.

    "Oui, désolée. Comme c'est très différent de ce que nous connaissons, je devais m'assurer que c'était sans risque."

    "Et donc ? Votre verdict ? Je ne peux rien vous proposer en dehors de ça, j'espère que vous en avez conscience..."

    "Celegan en a déjà pris, oui." Dimitra se saisit d'une gélule et l'avala aussitôt. "Et moi aussi, désormais. Je vous remercie Logan. Je dois dire que je suis interloquée, parce que votre technologie est à la fois vraiment obsolète pour ce qui est de l'électronique et curieusement très avancée sur le plan alimentaire."

    "Merci... Enfin, je crois ?"

    "Je vous pris de pardonnez mon manque de tact. Pour en revenir au sujet qui nous intéresse, que pensez-vous de ma théorie ? Je ne peux m'empêcher de me dire que nos mondes sont trop différents pour exister sur la même temporalité."

    "Et bien, il est certain que rien de ce qui semble être normal pour vous, des jambes mécaniques, des peaux synthétiques ou vos besoins excessifs en terme d'oxygène, ne soit quelque chose qui s'inscrive dans notre histoire. Donc, je serais prompt à vous croire."

    Dimitra sourit légèrement.

    "Vous êtes décidément bien réceptif sur le sujet."

    Logan eut un autre petit rire.

    "Me croiriez-vous si je vous disais que je pense que votre voyage est similaire à celui que j'ai fait une fois ?"

    Celegan grimaça pour la seconde fois. L'homme en noir était tellement impassible que l'entendre rire paraissait presque comme un acte peu naturel pour lui. 'Je ne le connais pas, après tout...' Le blondinet essayait de se convaincre.

    "Vous... Pensez avoir voyagé entre des mondes ?"

    " Je ne pense pas l'avoir fait, je l'ai fait."

    Dimitra chercha ses mots :

    "... Pourriez-vous élaborer ?"

    "Pour faire simple, il y a eu un incident pendant une de mes activités. Lors de cet incident, je suis tombé dans un trou. Un trou qui n'était ni dans le sol ni dans les murs, il était juste là suspendu dans l'air. En vrai, je ne l'ai pas remarqué jusqu'à ce que je tombe dedans."

    Dimitra ouvrait et refermait la bouche, tel un poisson qui peinait à respirer. Il n'était pas difficile de deviner son agitation, elle brûlait clairement de poser des questions. Logan poursuivit :

    "Le fait est que quand j'ai repris mes esprits après ça, la première chose que j'ai ressenti, c'est l'impression que mes poumons et mon cerveau allaient exploser. Ça m'a réellement choqué, je croyais m'étouffer en respirant"

    "Si ce que vous dites est vrai, vous avez peut-être atterrit dans un endroit avec un taux d'oxygène normal ou, du moins, plus riche que celui auquel vous êtes habitué. Je ne pense pas être dans le faux en supposant que vous êtes biologiquement adapté à votre environnement, changer radicalement d'environnement a dû être un choc pour votre corps."

     Logan hocha légèrement la tête et poursuivit :

    " Quand j'ai ouvert les yeux, j'ai dû les refermer immédiatement parce que j'ai été aveuglé. Il m'a fallu du temps avant de réussir à les rouvrir et encore plus à les garder ouverts. C'est là que j'ai vu un ciel complètement bleu et des arbres à perte de vue, et que j'ai compris que j'étais loin de chez moi, beaucoup trop loin pour que ça s'apparente à chez moi tout court. Si ça n'avait été pour l'inconfort physique, j'aurais cru être en plein rêve lucide."

    "J'ai remarqué que vous aviez un réelle obsession avec les choses naturelles." Celegan dit sans réfléchir.

    Un rictus se dessina légèrement sur les lèvres de l'homme en noir.

    "Pour nous, ces éléments sont exceptionnels. Un rayon de lumière qui traverse les nuages est un événement, une plante qui réussi à pousser est un exploit. Nous aspirons à un futur où tout cela serait plus commun. Quoi qu'il en soit, je n'ai pas profité de cet endroit bien longtemps parce que quelque chose m'a happé peu après mon arrivée, et je suis revenu directement dans mon monde."

    "Logan, je ne veux pas... Enfin, dans notre monde, sachez que ce que vous considérez comme exceptionnel est considéré comme normal pour nous. J'ai du mal à imaginer que vous soyez si peu familier avec ces choses."

    "Pour ce que j'en sais, elles étaient peut-être aussi communes pour nous avant le Grand Crash. "

    Dimitra secoua la tête.

    "Le 'Grand Crash' ?"

    "Hmm, officiellement, ça s'appelle le 'Cataclysme Anthropien' mais le 'Grand Crash' est un terme plus souvent employé. Ça désigne la période où l'humanité a failli disparaître."

    Celegan n'en croyait pas ses oreilles. Il avait l'impression d'entendre le début d'un scénario catastrophe comme on en trouve dans les œuvres de fiction.

    "A failli ?" Dimitra répéta.

    "Oui. Les études appuient l'hypothèse d'une extinction de masse, bien que les raisons possibles soient toujours d'ordre théoriques. Dans les faits, personne n'est sûr de rien. Une infime minorité a longtemps soutenu que les activités humaine avaient anéanti le monde, effaçant à grand coup les autres espèces existantes, végétales et animales, avant de pratiquement provoquer sa propre disparition. Les motivations auraient été dans les lignes de philosophies divergentes ou je ne sais trop quoi. Je vous avoue que je n'ai jamais accordé plus d'intérêt que ça à ces histoires."

    "Et quand cela s'est t-il passé ?"

    "Personne n'est certain. Écoutez, je vais faire simple, tout ce qui est avéré, c'est que nous avons connu un énorme déclin à une période, et notre espèce a failli disparaitre. Mais elle a passé près d'un millénaire à se reconstruire et vous avez le résultat devant vous."

    "Et vous ne pensez pas que les activités humaines aient été impliquées ?"

    "Tout ce que je sais, c'est que quoi qu'il en ait été, ça ne change rien pour nous. Je me préoccupe davantage de notre avenir que de notre passé."

    "Et le passé ne vous intrigue pas un minimum ? "

    "Certains regrettent d'éventuels pans de cultures que nous pourrions avoir perdu dans cette période. Personnellement, ça m'indiffère. Ce qui m'importe, c'est notre culture actuelle et les problèmes d'aujourd'hui."

    Dimitra serra les lèvres, embarrassée.

    "Je suis désolée, Logan, je me suis un peu emportée. Il faut dire que votre situation, enfin l'histoire de votre monde, semble bel et bien avoir pris un chemin radicalement différent du nôtre. Ou bien, ce qui nous attend est terriblement sombre et bien que je ne vois pas de quelle manière cela pourrait survenir, c'est affolant à imaginer..."

    "La guerre avec les Machines-esprits pourrait être une cause." Celegan murmura. Il n'espérait pas, mais bien des œuvres de fictions avaient raconté des événements similaires et le résultat imaginé n'avait rien d'enviable, un peu comme l'endroit où ils se trouvaient actuellement

    "... Peut-être."

    "Je ne vous en tiens pas rigueur. Je suppose que notre histoire doit bien plus vous fasciner qu'elle ne nous fascine nous-mêmes. Et je suis moi-même intrigué par votre quotidien, surtout votre alimentation qui semble particulière. J'espère qu'un jour, j'aurai l'occasion d'expérimenter cela."

    Dimitra et Celegan sourirent de concert. En vrai, il doutait que Dimitra et lui réussissent à rentrer compte tenu de leur situation actuelle. Recréer un portail avec une technologie inférieure semblait juste impossible, et il croyait encore moins qu'ils puissent inviter une personne d'une autre époque ou d'un monde parallèle à manger chez eux, mais cette pensée l'avait tout simplement égayé. Et vu la réaction de Dimitra, elle était sur la même longueur d'onde.


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