• Petit Journal d'Anabelle

    Ceci est un texte prévu comme une nouvelle indépendante de mon histoire et n'en fait donc pas directement parti. Les informations peuvent être considérées comme importantes. Les événements prennent place quelques mois avant la destruction de Bokai.

    Partie d'histoire concernée : Ereke
    Personnages principaux de la partie d'histoire : Coram, Methans, Vulcan
    Période du monde : Moyen-âge
    Nature du monde : Heroic-Fantasy

    Note d'auteure (1) : Il n'était pas prévu que je publie ce texte avant l'histoire principale, étant donné qu'à mon goût, il donne trop d'informations sur Coram. Mais bon, comme ce n'est pas demain la veille que je vais publier l'histoire principale et comme je m'inquiète un peu de la conséquence d'avoir trop gardé au sujet de Coram, je le mets à disposition pour l'instant. Il se peut que je retire ce texte dans le futur. Notez qu'une nouvelle liée à la backstory "avant-Bokai" de Coram est aussi prévue, mais je n'ai pas l'intention de la publier ici.

    !! TRIGGER WARNING !! : Allusion non-explicite à une tentative d'agression sexuelle


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    La Fois de Trop

    Elle ne comprenait toujours pas comment elle en était arrivée là.

    À quelques mètres d'elle, le corps de l'un des trois hommes qui l'avaient approchée gisait dans une mare de sang, le visage à peine reconnaissable. Un second était toujours debout et adossé contre l'arbre grâce à la hache qui était venue lui fendre le crâne. Le dernier... Qui sait dans quel état il pouvait se trouver ?

    Toujours sous le choc, Anabelle remonta une main tremblotante à la bouche. Ses oreilles bourdonnaient terriblement, mais il lui sembla discerner son nom dans le chahut. Elle détacha les yeux de cette vision macabre pour suivre cet écho indistinct. Elle rencontra un regard furieux et tressaillit bien malgré elle.

    Comment en était-elle arrivée là ? C'est de sa faute bien évidemment. Il était à la source de toutes ses incertitudes.

    Le responsable de ses malheurs semblait continuer à l'appeler, la secouant comme pour la sortir de sa torpeur. Anabelle n'avait qu'une seule envie en ce moment précis, c'était de repousser l'importun et de hurler de toutes ses forces, hurler sa colère, sa frustration, ses craintes, son ras-le-bol. Elle détacha sa main de sa bouche et la posa sur la poitrine de Coram, comme pour donner vie à ses pensées, mais elle n'alla pas plus loin.

    Sous les couches de vêtements, elle sentait le battement d'un cœur anormalement calme en comparaison de l'expression d'absolue fureur dessinée dans le regard de ce dernier. Plutôt que de repousser l'objet de ses incertitudes, elle décida de se concentrer sur les battement de son cœur, essayant de synchroniser le sien qui battait toujours la chamade.

    Petit à petit, les divers sons autour d'elle s'éclaircirent et elle réussit même à percevoir une fin de phrase :

    "-sé aux  conséquences de tes actes une fois dans ta vie?!"

    Anabelle fronça les sourcils, incrédule. Se pourrait-il... Qu'il ait eu peur pour elle ? Elle écarta cette idée rapidement. Non, il ne pouvait pas avoir peur. Ça faisait longtemps qu'il avait prouvé que ce sentiment lui était étranger. Non, ce qu'il y avait là, c'était de la colère pure, dépourvue de l'appréhension qu'on pourrait lire dans le regard de quelqu'un d'inquiet. Mais Anabelle savait pertinemment ce que ça pouvait signifier, elle le connaissait plus qu'il ne voudrait jamais le reconnaître.

    Elle regarda autour d'elle, posant encore le regard sur le carnage puis sur la route puis revient au visage de celui qui la tourmentait. Elle serra les dents et plongea la tête contre la poitrine de ce dernier. Il chancela quelque peu, mais réussi à ne pas tomber à la renverse. S'agrippant à sa tunique imbibée de sang comme pour se convaincre qu'il était bien réel, Anabelle se mit à pleurer de toutes ses forces, prenant enfin conscience de l'entièreté des évènements qui venaient de survenir.

    Elle ne pouvait voir le visage de Coram mais comme il ne la repoussait pas, elle ne lâcha pas prise. Inconsciemment, elle en était venue à répéter encore et encore :

    "Pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi ?"

    Elle sentit une main tentative s'approcher de son dos, mais la chaleur recula presque aussi sec, comme si la perspective de la toucher était synonyme de brûlure.

    Anabelle continua de pleurer pendant de longues minutes jusqu'à ce que sa voix ne fut plus que des hoquets. Il lui fallu encore un moment pour retrouver un semblant de calme. Ayant conscience de la position dans laquelle elle se trouvait, elle prit de profondes inspirations pour reprendre le contrôle de ses émotions . Elle était certaine qu'elle devait avoir l'air pathétique à ses yeux.

    L'esprit flottant, elle resta la tête posée contre la tunique. Il était difficile d'admettre que la sensation de réconfort émanait de celui-là même qui était responsable de tous ses maux.

    "Tu es calmée ?" demanda une voix éraillée.

    "..."

    Elle n'avait nul désir de répondre et compte tendu de la situation, elle considérait qu'il lui devait bien ce moment. Moment qu'il semblait accepter de lui concéder vu qu'il n'avait toujours pas tenté de l'écarter.

    Ils restèrent tous deux ainsi encore quelques instants avant qu'Anabelle se décide à relâcher les vêtements du garçon. Toujours affalée sur le sol, elle s'écarta doucement, les yeux baissés.

    "Tu peux me dire ce qui t'es passé par la tête ?" Questionna Coram, d'un ton beaucoup moins agressif, quoique toujours sec. "Tu imagines ce qui aurait pu arriver si je n'étais pas arrivé à temps ?"

    "... Comment as-tu su ?" Anabelle demanda, non sans un dessous de venin.

    "L'autre crétin. Il est venu me chercher la merde, disant que c'était de ma faute."

    Anabelle mâchonna ses lèvres. Oserait-elle lui dire ?

    "Je n'avais pas prévu que les choses tournent mal..." Elle leva les yeux vers le regard gris acier qui la scrutait. La lueur rougeâtre, qui y avait régné lors du massacre, s'était pratiquement dissipée.

    "Non, c'est vrai ? Tu croyais réellement que tu pourrais traverser toute la région sans le moindre risque ? Tes parents auraient mieux fait de mettre au placard ton apprentissage de pimbêche pour t'apprendre des choses bien plus importantes. Tu es quand même consciente que le monde n'est pas aussi beau et gentil en dehors de ta bulle, n'est ce pas ?"

    Cette fois, Anabelle le poussa brusquement. Il tomba sur le cul mais ne répliqua pas. Il se contenta de plisser les yeux.

    "Je sais bien que le monde n'est pas tout rose, ne t'en fais pas !" Elle s'exclama. "Et tu sais quoi ? Le peu d'espoir qu'il ne soit pas aussi sombre que je l'avais envisagée s'est effrité il y a quelques instants ! Tu dois être content."

    Coram fronça les sourcils.

    "Où veux-tu en venir exactement ?" Il grimaça.

    "Oh pitié ! Ça fait déjà un moment que tu me fais comprendre que je ne suis pas à la hauteur !"

    "Qu'est ce que ça a à voir avec ta putain d'inconscience ?!" Le garçon siffla.

    Anabelle prit cela comme le portail pour s'engager sur cette voie risqué :

    "Ça a tout à voir ! Roland a raison, c'est de ta faute !" Elle s'écria, se relevant brutalement. Elle chancela quelque peu mais réussit à se maintenir debout.

    Toujours le train arrière dans la boue et le sang, Coram la dévisagea, l'air perplexe.

    "Si j'ai décidé de faire ça, c'était pour pouvoir devenir plus forte !"

    "Keh, tu aurais du mal à devenir plus forte s'il t'arrive une casse dés ta première rencontre."

    "La ferme !"

    Le garçon écarquilla les yeux, les sourcils plus froncés que jamais. Néanmoins, il se tut.

    "C'est de ta faute !" Anabelle répéta encore plus fort. "Tu crois que ça me fait plaisir d'endurer ton dédain ? Tu crois que je n'ai pas retourné notre problème dans tous les sens pour comprendre ce que tu me reprochais ? La seule explication que j'entrevois... C'est que tu me considères comme faible, n'ai-je pas raison ? Tu piétines mes sentiments, encore et encore. Pas une seconde tu penses à ce que je ressens !"

    "... Tu ne crois pas que tu inverses les rôles là ?" Son interlocuteur grimaça et se leva à son tour. "Je t'ai dit d'arrêter de t'accrocher et tu t'obstines. Tu espères quoi en faisant ça ? Que j'abandonne ? Que je te crie mon affection ? Tu es complètement marteau."

    "Je suis peut-être marteau, mais toi, tu n'es qu'un hypocrite. Tu crois peut-être pouvoir abuser tout le monde avec ton attitude de salopard, mais je sais très bien à quoi tu joues."

    Le garçon arbora un air dédaigneux.

    "Tu peux croire ce que tu veux, mais arrête de te plaindre quand les choses ne vont pas dans ton sens."

    Un silence bref et malaisant tomba. Coram jeta un œil aux alentours.

    "Combien étaient-ils ?" Il demanda, croisant les bras.

    "... J'en ai vu trois..." Elle répondit après un instant d'incertitude.

    "Et j'en ai tué trois, donc le compte doit être bon. Mais dans le doute, je vais faire le tour."

    "Attends, tu vas me laisser ici... Toute seule ? Avec eux..." Anabelle attrapa la manche du garçon, désespérée.

    "Ceux-là sont crevés, ils ne bougeront plus. Et je ne m'éloigne pas, je veux juste garantir que personne ne puisse venir nous surprendre."

    Il arracha son bras de la prise de la jeune fille, marcha vers le corps charcuté de l'homme au sol et retira la dague profondément enfoncée dans le crâne du cadavre. Il fit danser la lame entre ses doigts, dévisagea Anabelle et s'éloigna :

    "Récupère tes affaires, nous faisons le chemin de retour dans peu de temps."

    "Et qu'est ce qui te fait croire que j'ai envie de rentrer ?"

    "Qu'est ce que tu comptes faire d'autre ? Continuer à marcher au hasard en comptant sur la chance ou la malchance que quelque chose se passe ? Je parie que tu n'as même pas réfléchi à ce que tu allais faire après avoir quitté le village."

    "Je- J'avais déjà quelques idées, figure-toi ! Pour quoi comme me prends-tu ? Une tête brûlée ?"

    "Exactement !"

    La jeune fille renifla et se frotta les yeux endoloris. Elle résista à l'envie de ramasser le premier objet venu pour lui lancer à l'arrière de la tête.

    Elle le regarda disparaître derrière des arbres et soupira. Elle constata le triste état de sa robe avec un certain dépit. Vu à quel point elle était tâchée de sang et déchirée, c'était inutile d'envisager de la faire raccommoder. La jeune fille commença à ramasser ses affaires éparpillées, l'esprit essayant toujours de structurer ce qui venait de se passer.

    Voyant sa pauvre monture étalée sur le sol, le poitrail ensanglanté, Anabelle sentit la colère remonter d'un coup. Elle envoya un coup de pied dans le cadavre de l'homme gisant au sol, puis un autre et encore un autre, chaque fragment de souvenir et chaque émotion liés à l'individu remontant en surface.

    "Pourriture ! Tu as eu ce que tu méritais ! J'aurais aimé pouvoir te tuer moi-même !"

    Après avoir apaisé sa fureur, elle renifla à nouveau. Sa pauvre robe était encore plus écarlate qu'avant, mais elle s'en accommodait. En revanche, le sentiment de faiblesse la rongeait encore plus profondément.

    "Ce n'est pas que tu ne portes pas le rouge à merveille, mais tu sais, le sang, ça schlingue au bout d'un moment..."

    Anabelle sursauta à la voix de Coram, revenu sans un bruit. Ce dernier la fixait d'un air sérieux. Elle se frotta le visage et haussa les épaules avant de s'affairer à ramasser ses dernières affaires.

    Sans son cheval, cela lui paraissait compliqué de tout porter.

    "Où est ton cheval ?" Elle s'enquit auprès du garçon.

    "Pas loin d'ici."

    Elle l'observa brièvement avant de lui demander :

    "Comment... ?"

    "Comment j'ai deviné que quelque chose clochait ? Je l'ai senti, c'est tout. Ce n'est pas difficile de repérer une puanteur comme la leur dans les environs. La plus grosse difficulté était d'agir assez vite en prenant le moins de risque possible."

    "Merci."

    "Heh ?"

    Anabelle ferma brièvement les yeux. Elle se chargea comme elle put de ses affaires et commença à marcher dans la direction du village. Son interlocuteur la suivit des yeux avant de s'exclamer :

    "Attends ! Je veux faire disparaître ces cadavres avant."

    "Vraiment là ? C'est si important ?" La jeune fille grommela.

    "À moins que tu veuilles que la prochaine caravane vienne à penser que la région n'est pas sûre, ce qui pourrait inciter les marchands à ne plus revenir, oui, c'est important. Je ne veux rien laisser qui nuise à Lethomas."

    Anabelle déposa ses sacs pour aider le garçon qui avait commencé à traîner le premier cadavre vers le coté. À son approche, ce dernier s'exclama :

    "Non, tu restes loin. Je m'occupe de ça et on s'en va après !"

    "Je veux juste t'aider."

    "Ne les touche pas !" Il siffla avec véhémence.

    La jeune fille ronchonna, très agacée par l'attitude du garçon. De l'autre coté, elle n'était pas non plus très désireuse d'interagir à nouveau avec ces individus, même si ces derniers étaient réduits au silence. 'Il me pense vraiment faible et inutile' Elle songea malgré tout, amère.

    Elle posa ses affaires en tas et s'assieds dessus, un bras lui servant de support pour sa tête, pendant que Coram s'affaira à trainer tous les cadavres vers le même coin. Elle découvrit que sa première victime avait tout simplement été égorgée, pas étonnant que l'alerte ne fut jamais donnée.

    Après quelques minutes d'affairement, le garçon ressorti de derrière le fourré où il avait supposément caché tous les corps.

    "Je ne peux rien faire pour ton cheval." Il fit remarquer.

    "Oui, ça risque d'être compliqué..."

    "Je m'arrangerai avec Lethomas. "

    "Tu..." Anabelle pâlit. "Tu ne comptes quand même pas lui dire ce qui s'est passé ?"

    "Ça pose un problème ?"

    "OUI!" Elle s'écria, sautant sur ses pieds. "Je viens de vivre le moment le plus horrifiant de ma vie. La dernière chose que je désire à ce stade, c'est que ça se sache dans tout le village. Je suis déjà bien assez humiliée rien qu'avec toi !"

    "Arrête de crier deux secondes !" Le garçon fit en protégeant ses oreilles." Là, je dirai juste que tu as été attaquée par des brigands qui voulaient te voler, ça justifiera la mort de ton canasson. Ce n'est qu'un demi mensonge. Ça te va ?"

    "Je... J'aimerais éviter que les gens sache que j'ai essayé de quitter le village aussi..." La jeune fille ajouta, honteuse.

    "L'abruti le sait déjà, qu'est ce que ça change ?"

    "Je t'en prie..."

    Le garçon la regarda puis leva les yeux au ciel, l'air désespéré.

    "Tuez-moi, s'il vous plait... Bon, d'accord ! Je vais réfléchir à un autre beau mensonge."

    Anabelle hocha la tête doucement. Elle se sentait désolée pour Baie d'Hivers, son cheval l'accompagnait depuis longtemps et elle l'avait envoyé à la mort. Si elle avait su ce qui les attendait, elle n'aurait jamais pris ce risque.

    Le garçon s'approcha de la jeune fille. Il ramassa quelques-unes de ses affaires et lui fit signe de le suivre. Il ne leur fallu pas longtemps pour rejoindre la grande monture à la robe blanche. Cette dernière attendait patiemment sur le coté de la route et accourut vers son cavalier quand elle l'aperçut, hennissant de contentement.

    "Je ne peux pas surcharger Heliums, tu vas devoir prendre sur toi et marcher" Le garçon dit, alors qu'il commençait à sangler les affaires d'Anabelle sur le dos du cheval.

    "Nous sommes à plus d'une lieue du village, nous allons vraiment marcher jusque là ?"

    "Tu n'espère quand même pas que je casse le dos de ma jument pour toi ? À moins que ton idée soit que je fasse la mule moi-même ?"

    Anabelle renifla et baissa les yeux. Honnêtement, le choc l'avait épuisée et elle tenait à peine sur ses jambes. Mais admettre cela à son interlocuteur reviendrait à mettre un autre coup de couteau dans son égo, elle s'abstint et secoua la tête en guise de désapprobation.

    La marche fut aussi laborieuse qu'elle l'avait pressentie. Coram marchait à coté de son cheval, tenant les rênes, tandis que Anabelle trainait les pieds quelques mètres derrière. Cette dernière se giflait mentalement d'avoir été aussi loin dans sa fuite. Elle l'admettait, elle avait eu le sang chaud pour le coup, mais encore une fois, celui qui l'avait poussé à commettre cette erreur était définitivement le garçon marchant devant elle. Sa dernière action avait été celle de trop, aussi insignifiante qu'elle pouvait sembler aux yeux du monde.

    "Tu veux faire une pause ?" Coram s'enquit soudain, se tournant brièvement.

    "Non." Anabelle grogna.

    Le garçon soupira et s'arrêta avant de se retourner totalement.

    "Faisons une pause." Il dit d'un ton décidé.

    Anabelle ne chercha même pas à le discuter. D'une certaine façon, ça l'arrangeait compte tenu de son état d'épuisement mais de l'autre, elle était encore plus fatiguée d'exposer ses faiblesses à la personne à laquelle elle voulait le moins les montrer.

    Coram huma l'air et lui fit signe de le suivre hors de la route. Il marchèrent jusqu'à une petite clairière isolée, traversée par un petit ruisseau.

    Le garçon déchargea son cheval et le laissa trotter tranquille dans le coin.

    "La nuit est en train de tomber, je vais chercher de quoi faire un feu."

    "Nous ne devrions pas nous dépêcher de rentrer justement ?"

    "Au train où tu marches, nous arriverons demain soir si nous avons de la chance. Nous allons passer la nuit ici et se réorganiser pour le retour demain."

    Anabelle bouda.

    "Laisse-moi m'occuper du feu !" Elle demanda avec force.

    "Tu devrais plutôt te repo-"

    "Arrête de m'infantiliser, bordel !"

    "..."

    "Je vais chercher ce qu'il faut pour faire un feu, le sujet n'est pas ouvert à la discussion." Elle dit avec fermeté et elle le dépassa pour s'enfoncer dans le bois.

    Évidemment qu'il avait remarqué sa fatigue, fichu observateur qu'il était...

    Quand elle revient avec un tas de branches sèches, elle trouva Coram assis sur un rocher. Il agita deux petits cadavres d'écureuils dépecés.

    "Tu as faim ?"

    Anabelle roula des yeux, mais acquiesça. Elle tassa le bois au centre d'un cercle de pierre qu'elle avait établit.

    "Tu aurais de l'amadou dans une de tes sacoches ? J'ai oublié d'en prendre et je ne sais même pas si on en trouve dans la région..."

    Il ne fallu pas longtemps pour qu'un petit feu naisse. Le garçon s'approcha et elle réagit instantanément :

    "Tu es sûr que c'est prudent pour toi de venir aussi près ?"

    "Qui infantilise qui désormais ? Ce n'est pas un bête feu de bois qui va me faire tourner de l'œil, merci."

    "Mais quand tu étais enfant..."

    "J'étais affaibli à l'époque, d'accord ?! T'imagines à quel point ce serait emmerdant de vivre en société sans avoir la possibilité de côtoyer la chaleur ?"

    Il s'assied à l'opposé d'elle et effectivement, il ne sembla pas dérangé par le feu, ou du moins, il le cachait très bien, songea Anabelle. Les écureuils furent simplement jetés dedans sans ménagement.

    "Tu as eu le temps de réfléchir à tout ça ?" Coram demanda.

    "Hmm, je pensais juste au fait que tu méritais une bonne raclée. Je serais ravie de te la mettre mais vu que tu retournes Roland, je doute d'avoir mes chances..."

    "C'est vraiment ainsi que tu traites ton sauveur ?" Il répondit, avec un rictus.

    "C'est un titre que j'aurais été ravie de ne jamais t'attribuer, mais vois-tu, ton attitude a fait que j'ai commis une erreur qui a failli me coûter cher, donc ton 'sauvetage' s'est avéré plus qu'opportun."

    Elle le dévisagea sévèrement.

    "Pour ton carnet, je n'y toucherai plus." Le garçon dit après un bref silence.

    Elle fut surpris, elle ne s'était pas réellement attendu à ce qu'il réfléchisse au sujet.

    "Ce n'est pas comme si ça avait encore de l'importance..." Anabelle baissa les yeux.

    "C'est bien pour ça que tu t'es enfuie, non ? "

    "Ce n'est pas juste ça !" Elle s'énerva "Tu ne comprends pas que c'est un tout ? Toutes tes petites mesquineries finissent par me bouffer, j'essaie de faire les choses bien pour que tu me regardes... Comme au début. Mais on dirait que tout ce que je fais n'est qu'une contrariété pour toi. C'est pour ça que j'ai décidé de partir !"

    "Ah, ce n'était pas une question de devenir plus forte ?"

    "Je devenais plus forte et je venais te retourner moi-même, c'était l'idée !" Elle déclara, grinçant discrètement face à l'absurdité de ses propos.

    Une autre rictus se dessina sur le visage de Coram.

    "Tu sais, la solution à ton problème est simple : Il te suffit d'abandonner. Il n'y a rien entre nous et ça ne changera pas."

    "C'est étrange comme tu es atypique et en même temps tellement similaire aux gens du village..."

    Il grimaça au commentaire, se sentant probablement insulté.

    "Je te dis juste que tu perds ton temps. Si tu passes à autre chose, mes mesquineries cesseront en même temps."

    "Ça se voit que tu ne comprends pas à quel point c'est difficile. J'ai beau essayer, je n'y arrive pas."

    "Heeh, tu devrais peut-être aller voir un mage pour qu'il te soigne ?"

    "Roland et Eulalie me l'ont déjà suggéré, figure-toi." Elle dit, amère.

    "Et donc ?"

    "À supposé que ce soit possible de me "soigner" de ça, je ne sais pas si j'en ai vraiment envie." Anabelle répondit nonchalamment.

    Coram renifla, mais ne dit rien. Il embrocha un écureuil avec une branche taillée en pointe et lui tendit sèchement. Dans une certaine mesure, la jeune fille était soulagée qu'il ne suggère pas son départ à lui, à supposé qu'il se préoccupe réellement de ses sentiments et non qu'il essaie juste de la raisonner pour ne pas avoir de problème avec le village par après. Malgré sa conduite marginale, il semblait suffisamment attaché à Bokai pour ne pas vouloir en partir.

    Un silence absolu tomba et Anabelle se retrouva rapidement seule avec ses pensées.
    Elle songea au fait que ça faisait longtemps qu'ils n'avaient pas eu une vraie conversation tous les deux. La dernière fois devait être quand elle jouait encore les gardes-malade auprès de lui, après son arrivée au village. C'est étrange comme il avait été si réceptif à ce moment-là, venant parfois même chercher du réconfort dans les bras de la jeune fille au bonheur de cette dernière. Et pourtant, après son rétablissement, son attitude s'était totalement transformée vis-à-vis d'elle. Il était devenu méprisant et moqueur, et plus Anabelle tentait de lui faire cracher ce qui n'allait pas, plus il devenait virulent. Elle ne comptait plus les fois où elle avait dû se réfugier à l'abri des regards et oreilles indiscrets pour pleurer sa frustration.

    Au fond, Anabelle savait qu'elle n'était pas non plus très honnête par rapport à ce qu'elle ressentait pour Coram. Étant issue d'une famille ayant eu un certain prestige, beaucoup d'attentes pesaient sur sa tête. Sa famille espérait d'elle qu'elle redore le blason en se mariant à un noble suffisamment bien placé, toute l'éducation qu'elle avait reçue n'était prévue qu'à cette fin. D'une certaine façon, elle avait toujours eu l'impression que son avenir ne lui appartenait en rien, malgré les belles promesses d'une vie confortable et avantageuse. Déjà enfant, elle aspirait à une existence plus trépidante, elle rêvait de découvertes et de voyages, chose impossible dans la prison dorée qui lui était promise. Elle s'y était presque résolu jusqu'à ce que cet inconnu déboule dans sa vie. Un inconnu pour lequel son cœur avait battu la chamade presque aussitôt, mais qui lui avait aussi servit de rappel qu'un monde existait en dehors de cette cage créée pour elle. Elle avait malheureusement associé l'idée d'une corde de sortie avec ce garçon et se demandait souvent si ce n'était pas la seule raison qui la poussait à s'accrocher encore aujourd'hui, comme elle le faisait.

    Peut-être que, justement, Coram le savait ? Et si c'était pour ça qu'il la repoussait ? Si elle ne le connaissait pas aussi bien, elle aurait pensé qu'il craignait être utilisé, mais ce genre de chose ne semblait pas vraiment l'affecter. Non, elle restait convaincue que la distance qu'il mettait avec elle provenait d'ailleurs.

    Un courant d'air particulièrement glacé la fit frémir. Sans surprise, l'obscurité avait englouti tout l'environnement, seul le feu de bois et les quelques étoiles dans le ciel apportaient un semblant de luminosité.
    Anabelle posa la tête sur ses genoux et observa l'objet de ses soucis. Ce dernier semblait aussi plongé dans ses pensées, tandis qu'il tâtonnait les branchages du feu avec un bout de bois déjà noirci. Si la jeune fille avec eu son carnet, elle aurait probablement utiliser cette opportunité pour l'ébaucher, une activité qu'elle trouvait toujours très apaisante. Malheureusement, le carnet gisait quelque part dans la rivière, la plupart des pages arrachées. La jeune fille grimaça à cette pensée, il n'y avait aucun risque que cet abruti y retouche vu qu'il n'y avait plus de carnet. Par réflexe, elle lui jeta des feuilles d'arbres, ce qui attira forcément son attention.

    "Toujours envie de me mettre une raclée ?"

    "Oui. Et je te promets qu'un jour, ça arrivera."

    "Bien."

    "..."

    "À moins que tu aies l'intention d'être épuisée pour la marche demain, tu devrais te reposer."

    "..."

    Il leva un sourcil.

    "Quoi ?"

    "Il fait froid." Elle fit remarquer.

    "Rapproche-toi du feu."

    " Je suis déjà suffisamment près. Et je te signale que mes vêtements sont abimés et dégoutants. Et ils puent."

    "Tu n'as rien pris d'utile là-dedans ?" Il fit, désignant les sacs de son interlocutrice.

    "Et je me change où ? Je refuse d'aller toute seule dans le noir !"

    Coram ouvrit la bouche et se ravisa soudain, comme s'il était conscient qu'il allait dire une bêtise. Il la fixa avec une tête d'enterrement.

    "Je me tourne, tu te changes ici. Ça te convient ?" Il dit après un court silence.

    Anabelle réfléchit et finit par hocher timidement la tête, scrutant l'alentour dans la crainte de regards indiscrets. Hormis la jument blanche, tout juste visible à quelques mètres, il n'y avait aucun signe de présence alentour.

    Comme il l'avait dit, Coram lui fit dos, et la jeune fille en profita pour sauter dans des vêtements propres. Elle se sentait toujours sale, mais au moins, elle n'avait plus sur elle la sensation écœurante du sang séché des hommes assassinés plus tôt.

    Elle vint se rasseoir du même coté du feu que le garçon. Ce dernier l'entendit arriver et regarda par-dessus son épaule. Il leva un sourcil et se tourna à nouveau vers le feu, mais il ne dit rien par rapport à l'audace d'Anabelle. Elle songeait qu'au vu des circonstances, il essayait probablement de se montrer plus patient avec elle.

    "Rien n'a changé, tu sais ?" Il dit, subitement, comme s'il se doutait de ce qu'elle pensait.

    "Je sais." Elle se rapprocha néanmoins encore un peu. "Mais laisse-moi profiter un peu."

    Rien n'avait changé. Une fois revenus au village, la vie reprendrait son cours comme si rien ne s'était passé (Pas vraiment pour elle). Après ce qui s'était passé plus tôt dans la journée, c'était un soulagement de retrouver un contexte aussi familier. Mais c'était aussi douloureux. Douloureux de se dire que tout ça aurait été vain.

    Anabelle renifla, mais retint ses sanglots. À ce stade, elle n'était plus certaine du pourquoi elle voulait pleurer. Un autre contrecoup par rapport aux événements précédents ou un regain de frustration à l'encontre de Coram, peut-être les deux à la fois ? Tout ça n'avait pas d'importance là de suite. Elle se rapprocha encore de Coram et posa directement sa tête sur épaule l'épaule de ce dernier en quête de réconfort. Elle le sentit se raidir à son contact. 'Au moins, il ne me repousse pas' Elle se dit pour se consoler. Même s'il empestait le sang de ses victimes, elle considérait sa présence comme reposante.

    "Il faudra que tu évites de te faire remarquer en rentrant. Si on voit dans quel état tu es, les rumeurs vont encore circuler."

    "Keh." Il soupira. "Comme s'ils avaient besoin de ça pour parler dans mon dos. Par contre, nous éviterons de rentrer en même temps."

    "Huh, pourquoi ?"

    "À moins que tu veuilles expliquer à tout le monde pourquoi tu reviens avec moi après avoir disparu pendant presque deux jours ?"

    "Ah ! Non, merci. J'aurais déjà assez à gérer entre l'inquisition à venir de mes parents et de Roland. Je crains que même Eulalie s'y mette."

    "Heh." Il fit et lui fit un sourire qui paru presque compatissant. Du moins, c'est ainsi qu'Anabelle voulu l'interpréter.

    "Pour le mensonge... Tu étais partie chercher des fraises sauvages, mais tu t'es éloignée plus que tu le pensais. Tu t'es faite attaquée par des bandits, ils ont tué ton cheval, mais tu as pu t'échapper et tu as dû trotter sur le retour. Pour ma part, j'expliquerai à Lethomas que j'ai croisé des bandits et que je les ai tués. Ça te convient ?"

    "... Lethomas va accepter ton explication, tu penses ?"

    "Il n'approuvera pas, mais hormis un sermon, je ne risque pas grand chose. Il sera sûrement plus tolérant si ta propre explication fait écho avec la mienne. Et comme je sais qu'il n'ira pas rapporter mes faits et gestes, je suis tranquille."

    "Je ne comprends pas pourquoi ça t'arrange. Si les gens savaient que tu tues des bandits, ils seraient peut-être moins antipathiques avec toi..."

    "Peut-être que j'aime simplement qu'ils le soient."

    "Je ne te comprends pas. Mais soit. Je vais dire que je suis d'accord."

    "Bien. Faudra juste veiller à ce que l'autre abruti la ferme au sujet de ta fuite, ça ne devrait pas être trop dur si c'est toi qui lui demande."

    Anabelle roula des yeux, mais hocha la tête.
    Sans grand étonnement, la fatigue finit par l'emporter. Se sentant parfaitement calme et confortable ainsi appuyée sur Coram, elle s'endormit.

    Pendant la nuit, elle se réveilla à moitié. Elle n'était plus appuyée sur quoi que ce soit, mais allongée sur le coté. Elle entendit un grattement suivi du crépitement du feu, elle entrouvrit légèrement les yeux pour voir Coram s'affairer à empêcher les flammes de mourir. Une fois qu'il sembla satisfait, il se tourna aussitôt vers elle et leurs yeux se croisèrent. Il cligna brièvement des yeux et détourna presque instantanément le regard comme s'il venait d'être pris à défaut. Anabelle eut envie de le questionner, mais la fatigue l'emporta à nouveau. Elle referma les yeux pour se laisser emporter par ses songes.


    -------------------------------

    Note d'auteure (2) : [SPOILER] Des années après, c'est Anabelle qui sauvera Coram d'une très mauvaise passe. Ah, et elle le retournera aussi.
    Note d'auteure (3) : Le texte est susceptible d'être modifié.


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  • Commentaires

    1
    Lundi 21 Mars 2022 à 09:42

    C'est toujours aussi intéressant d'en apprendre plus sur tes personnages ! Je trouve que la narration est fluide et c'est assez agréable à lire. J'aime bien leur relation aux deux là :)

    J'ai trouvé deux trois coquilles :
    "Qui sait dans quel état il se pouvait se trouver ?" → "dans quel état il pouvait se trouver ?".
    "Comme s'ils avaient besoin de ça pour parler son mon dos" → "pour parler dans mon dos".

      • Lundi 21 Mars 2022 à 14:46

        Merci ^///^ J'ai toujours l'impression que quelque chose cloche dans la narration de mon coté, mais je n'arrive pas à trouver ce qui me gène. Contente de savoir que ça t'a plu en tout cas <3

        Aah merci ! Je l'ai re-vérifié deux-trois fois après l'avoir posté, mais même ainsi, j'arrive à louper des couacs. En tout cas, ceux-là sont corrigés maintenant :)

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